La trinité pour les nuls

Par René Blanchet.

N’aie donc pas peur, chère lectrice, cher lecteur, mon intention n’est pas de tordre l’arithmétique en prétendant que 3=1. Je ne vais pas non plus te contraindre à pénétrer dans les complexités de la théologie trinitaire des 4ème et 5ème siècle; je n’utiliserai aucun de ces concepts dont les théologiens anciens se délectaient: l’essence, les hypostases, la génération, la spiration, la périchorèse… Je constate simplement la fréquence de la formule trinitaire dans le Nouveau Testament et combien souvent on couple les figures du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ce n’est certainement pas un hasard. Dans la finale de l’évangile de Matthieu, par exemple, les apôtres sont invités à enseigner les nations et à les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Mon but est d’essayer de faire apparaître la nécessaire unité qui lie les missions respectives du Père, du Fils et de l’Esprit, une unité indispensable à la cohérence de notre foi. Voici donc les points successifs de mon développement:

Primo: Ce qui nous touche immédiatement, dans les paroles et les actions de Jésus, ce sont l’accueil et la compassion qu’il manifeste à l’égard des personnes qu’il rencontre. Il va au-delà des convenances, à l’encontre des prescriptions de la loi juive, pour réhabiliter la relation avec Dieu des blessés de la vie, des exclus de la religion, de ceux qui s’estiment coupables. En leur accordant le pardon, en ouvrant leur existence à Dieu, il les rend capables d’aimer leur prochain, comme il les a lui-même aimés. En effet, c’est de l’amour que Jésus offre, dans ces nouvelles possibilités de vie qu’il donne.

Je pose alors cette question: cet amour serait-il autre que celui de Dieu qui aime le monde? Non, il s’agit du même amour, car il n’y a ici qu’un seul amour. Affirmer la Trinité, c’est préciser que quand Jésus nous aimait, c’est Dieu qui nous aimait. Jésus est Fils du Père, parce que l’amour dont il nous aime est l’amour même de Dieu pour nous. «Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils…» (Jean 3,16). L’amour du Père n’est pas resté abstrait, général. Il est devenu concret, incarné. Cela signifie aussi que, dès maintenant, tout geste d’amour dont je suis l’objet ou dont j’entends parler me confirme que c’est Dieu qui m’aime. J’estime qu’il s’agit d’une extraordinaire bonne nouvelle, telle qu’il ne peut y en avoir de meilleure!

Secundo: Affirmer la Trinité en ce qui concerne l’Esprit, va à l’encontre des conceptions «énergétiques» très indéterminées que l’on rencontre aujourd’hui. L’Esprit a des fonctions claires: il nous permet de recevoir et de saisir l’amour de Dieu en Jésus-Christ; et il nous permet d’y répondre. C’est par lui que nous pouvons accueillir en nous le don qui nous est fait et nous aimer les uns les autres. Ce qui est décisif: il nous donne de répondre à l’amour du Père et du Fils, donc d’être responsables dans le monde. Par l’Esprit, nous participons finalement à l’œuvre consistant à mettre à nouveau toutes choses en relation avec Dieu. C’est une très bonne nouvelle et il ne peut y en avoir de meilleure!

Tertio: Saint Augustin disait que l’Esprit était précisément cet amour que s’échangeait le Père et le Fils. La Trinité se définit ainsi par une circularité d’amour. Cependant un souci taraude bien des gens : ce cercle d’amour divin n’est-il pas trop fermé? Cette vision trinitaire n’est-elle pas exclusive, rejetant les autres religions, les spiritualités qui prennent d’autres chemins ? Je dirai: au contraire ! Le mouvement d’amour de Dieu embrasse tous les hommes, quelle que soient leur culture, leur religion ou leur religiosité. «Il n’y a plus ni juif, ni grec, ni homme, ni femme…» écrivait l’apôtre Paul (Gal 3,28; Col 3,11). Tous les hommes sont invités à découvrir, dans leur cadre de vie et dans les termes de leur expression culturelle et religieuse, ne fût-ce que des bribes de l’amour de Dieu, et ils le peuvent. Tous sont invités à y répondre, à partir du lieu où ils se trouvent et selon leurs moyens. Tous, comme nous, peuvent être reliés à l’Esprit Saint qui travaille partout; cet Esprit les déroutera plus ou moins, changera leur regard sur le monde, sur leurs relations, sur leurs croyances, et les fera passer par d’autres chemins. Eux comme nous, car la Trinité n’appartient pas aux chrétiens. Elle embrasse et intéresse le monde entier. Ceci aussi constitue une merveilleuse nouvelle, telle qu’il n’en existe pas de meilleure!

La Trinité n’est donc pas une théorie arbitraire, ainsi que le prétendent certains esprits superficiels. On peut certes l’expliciter de manière différente que ci-dessus, en définissant autrement les positions et les missions respectives du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Mais, pour garantir sa consistance au christianisme, il est inévitable que l’on ait une vue cohérente et unitive de leurs relations.

A toi, maintenant, chère lectrice, cher lecteur, de continuer la réflexion à propos de la trinité correspondante et qui lui fait miroir, celle des vertus «théologales»: la foi, l’espérance et l’amour.

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