Dans nos Eglises, sur la place publique, en famille ou au bistrot, lorsque nous parlons de « Dieu » (cela arrive-t-il encore… ?), de quel « Dieu » parlons-nous ? Plus précisément, à quelle(s) représentation(s) ce mot fait-il encore appel ? Quand nous disons « Dieu », à quel système de pensée ce nom est-il associé, nolens volens… ?
Sommes-nous proches de « l’a-thée », qui non seulement rejette le nom de « Dieu », mais ce vers quoi il fait signe, du « théiste », qui pense pouvoir le prononcer avec suffisamment d’assurance, de certitude ou d’évidence ou de « l’ana-théiste », qui considère que les noms que nous prêtons à « Dieu » disent bien quelque chose à son sujet, mais que le « Dieu » ainsi désigné ne se laisse ni réduire et enfermer dans une telle dé-nomination. Pour l’anathéisme, en effet, le trop peu de l’athéisme et le trop plein du théisme sont deux positions de certitude qui ont mutilé bien des âmes et des esprits dans notre histoire… C’est de cela dont il faut prendre congé afin de libérer un nouvel espace au divin, à la croisée du religieux et du non religieux, du profane et du sacré, là où l’éternel peut se faire épiphanie, là où l’humain devient capable de séjourner dans l’ouvert, le doute et le mystère.
Dans l’histoire plurimillénaire des représentations du « nom de Dieu », il y a fort à parier que le théisme tient le haut du pavé. Mais qu’entend-on par-là ?
Théisme ou de quoi Dieu est-il le nom… ?
Le théisme constitue l’une des manières classiques dont les religions antiques et les divers monothéismes se sont « représentés » Dieu ou les dieux à travers les âges et les civilisations. Tel quel, ce mot apparaît la première fois chez Voltaire et Diderot (vers 1740). Il est une tentative de rendre compte des divergences philosophiques entre athées, déistes, théistes et monothéistes.
Aux yeux d’André Gounelle, le théisme, au 18e siècle, est une « religion raisonnable et naturelle qui implique un lien personnel et vivant avec une divinité, considérée comme l’Etre suprême. Elle comporte une forme de culte et de prières et se manifeste par des sentiments religieux. Mais le théisme refuse toute forme de révélation spécifique, soupçonnée de générer exclusivisme et intolérance » (le théiste n’a donc pas de relation privilégiée à une tradition religieuse particulière). C’est dans ce refus de toute révélation que le théisme se distingue du christianisme, notamment. Pour le croyant théiste (Rousseau, par exemple), Dieu se manifeste en priorité dans l’âme et dans la nature. Il voit en Dieu une personne qui a en face d’elle des choses et des êtres (dualisme).
Le théisme s’est en partie constitué dans la rencontre avec l’abstraction et la conceptualisation de la métaphysique grecque et les Lumières modernes. Le Dieu du théisme est le Dieu de la démonstration et de la certitude objective, de l’explication rationnelle de l’Univers. Mais là encore, ce mot reprend des schèmes de pensée et de représentation bien antérieurs à cette époque.
Le Dieu du théisme
Selon l’ancien évêque anglican John Shelby Spong, le théisme plonge ses racines dans la nuit des temps : «Dieu est vu comme un être surnaturel, superpuissant, résidant en dehors de notre monde, au dessus du Ciel, dans un 3e étage de l’univers, mais capable d’envahir et de pénétrer notre réalité par des voies miraculeuses, pour bénir, pour punir, pour accomplir sa volonté, pour répondre aux prières quand il en a envie et pour venir en aide à ces humains si faibles et impuissants. Il est un juge qui trône au-dessus du Ciel et tient un grand livre de comptes…». Sur un tel arrière-fond, la religion sera alors la manière concrète et pratique d’arriver à gagner la faveur de cette divinité et à échapper à son courroux…
Le Dieu théiste est « immuable » et « intemporel » (toujours pareil à lui-même, résistant au changement, garantissant l’immuabilité de l’ordre du monde, de l’ordre cosmique, de l’ordre social et politique aussi) ; il est « surnaturel » et « tout-puissant » (doté d’un pouvoir absolu sur les hommes et l’univers : rien n’arrive ni n’existe sans son intervention, quitte à bouleverser les lois qu’il a lui-même créées); il « réside hors du monde » : la terre n’est pas sa demeure. Il la visite (il est donc capable d’y intervenir par des voies imprévisibles et miraculeuses), mais y est étranger ; il est « impassible » et « invulnérable » (rien ne le blesse, ne le touche et l’émeut) ; il bénit, punit ses créatures, répond ou non aux prières de ses enfants. Le Dieu théiste prend peu à peu les traits d’une figure personnifiée, personnelle, assimilée à un individu, résidant dans les hauteurs situées au-dessus du Ciel. Songeons aux représentations de l’art et des peintures religieuses, à Léonard de Vinci, par exemple, et à sa « Création d’Adam » illustrée au plafond de la Chapelle Sixtine…
Nul besoin d’être grand clerc pour se rendre compte que la pensée chrétienne classique (sa doctrine, ses crédos, sa liturgie, son culte) s’exprime au travers de représentations théistes : Dieu y est présenté comme un Être céleste, principe premier et dernier, qui assure fondement, stabilité et vision d’ensemble au réel, qui plus est, apprécie nos louanges, écoute nos confessions, nous révèle sa volonté sainte et nous appelle à une vie spirituelle en communion avec lui. Au fond, Dieu est considéré comme un être humain, mais en mieux…
Critique du théisme
Or, c’est précisément cette représentation de Dieu, jugée trop anthropomorphique et trop proche d’un discours de certitude, qui pose problème à nombre de nos contemporains. Une telle représentation s’effondre aujourd’hui, conjointement aux schémas classiques de la métaphysique philosophique et religieuse… Désormais, tout discours sur Dieu, sur le divin qui, d’une manière ou d’une autre, « prétendrait savoir » doit revoir ses prétentions à la baisse… Ce Dieu assimilé peu ou prou au pouvoir et à la souveraineté triomphante fait fi de l’hospitalité, de l’amitié, de la bienveillance, de l’accueil et de la discrétion. Le concept de Dieu comme monarque absolu de l’univers qui exerce des pouvoirs arbitraires et illimités sur ses créatures, oublie un peu trop le Dieu « promesse, appel, désir d’aimer et d’être aimé ». Ce Dieu antique est né d’une lecture littéraliste de la Bible et de l’application pernicieuse d’une métaphysique de la toute-puissance et de l’autosuffisance… Théodicée et théocratie sont des rejetons de la souveraineté théiste. Paul Ricœur le rappelait jadis : c’est ce « Dieu » de l’onto-théologie qui mérite aujourd’hui d’être dépassé et repensé…
A votre avis :
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Partagez-vous les critiques que l’on peut adresser à la représentation théiste de Dieu ? Le théisme est-il la seule manière de donner sens à l’expérience de Dieu ?
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Peut-on sortir d’une perspective théiste pour formuler la foi aujourd’hui ? Si oui, que veut dire alors parler de Dieu de manière non théiste ?
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Peut-on encore invoquer, rendre grâce, prier un Dieu qui aurait perdu ses « attributs théistes » ?