Humanisme!

Par Jean-François Habermacher

Dans Le Monde diplomatique du mois d’octobre, Edgard Morin plaide pour un retour à un «humanisme régénéré», revitalisé par les valeurs de solidarité et de responsabilité. Sur l’arrière-fond planétaire qui est le nôtre désormais, il appelle de ses vœux une mutation de l’humanité: «Pour subsister, l’humanité doit absolument changer».
Mais par quels tours de passe-passe et coups de baguette magique compte-t-il y parvenir ?

Pour initier de tels bouleversements, quelles sont les forces, les impulsions, les motivations qui vont inciter les humains que nous sommes à changer de cap? Quels sont les déclencheurs du changement? Est-ce la foi dans la société-monde que Morin appelle de ses vœux, mais qui peine à advenir, tant la vision partagée entre peuples et cultures demeure fragile, tant les relations politiques entre nations sont en crise? Est-ce la confiance dans un transhumanisme éclairé, coïncidant avec l’évolution intellectuelle et éthique de l’homme? Ou le sentiment de participer à une aventure infinie, plus que jamais « incertaine, terrifiante et exaltante»? Ou encore, de manière plus crue et brutale, faudra-t-il compter sur les craintes ancestrales, la peur du manque, de la catastrophe, des conflits et de la violence ? Mais la peur, en la matière, saurait-elle être bonne conseillère?

Il faut, nous dit Morin, une «métamorphose psychologique, culturelle et sociale». On approuve et on applaudit! Mais la donne n’est-elle pas plus complexe? On peut bien aspirer à transformer l’humanité, mais peut-on faire l’économie de l’humain lui-même, de ce qu’il est, de ce qui l’habite, de ce vers quoi il se tourne et se dirige? N’y-a-t-il pas à initier un changement profond de l’homme lui-même, un changement intérieur? Celui du regard posé sur soi-même, les autres, sur l’univers, ses tragédies et ses merveilles dans lesquelles nous sommes immergés. Quels noms donner à ce travail d’assouplissement du Moi et d’élargissement de la conscience, à cette alchimie de l’intime, à cette transformation des logiciels intérieurs qui confèreront sens et orientation à notre trajectoire éphémère et insignifiante sur cette terre ? Le psychiatre Viktor Frankl le soulignait déjà: «Etre humain signifie viser quelque chose au-delà de soi, une cause à servir, un être à aimer…».

Jadis, on nommait cela Sagesse, qu’elle soit philosophique ou religieuse d’ailleurs. De nos jours, pour utiliser un mot commode mais à géométrie variable, on parlera plutôt de Spiritualité. C’est dire que nous avons besoin d’impulsions qui élèvent l’âme et le regard. Qui honorent l’humain pour ce qu’il est, sans l’humilier ni l’exalter. Pour lui permettre d’être ce qu’il est en profondeur et d’entrer dans ce «temps d’incertitude», avec confiance et sérénité. «Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant». Ce propos du poète Antonio Machado est magnifique. Oui, le chemin se fera en marchant… Encore faudra-t-il sauvegarder le goût du voyage ; et que le désir de la marche nous habite…

Hélas, c’est en vain qu’on cherchera dans le texte d’Edgar Morin ce qui pourrait nourrir un tel changement de paradigme. De manière surprenante, ces forces intérieures de transformation créatrice demeurent absentes de l’agenda humaniste et planétaire qu’il nous propose…