Marc 9, 14-29
Réalisée par des participants du programme 2024-2025,
une analyse d’un chapitre du livre de Marie Balmary,
Ce lieu que nous ne connaissons pas. A la recherche du Royaume,
Albin Michel, 2024, pages 31-38.
Image : Marion Heierle.
En venant près des disciples, ils voient une foule nombreuse auprès d’eux, et des scribes qui discutent avec eux. Et aussitôt toute la foule le voit. Ils sont effrayés et courent au-devant de lui le saluer. Et il les interroge : « De quoi discutez-vous avec
eux ? »
Un de la foule lui répond : « Maître, je t’ai amené mon fils, il a un esprit non parlant. Et quand il s’empare de lui, il le déchire : il bave, crisse des dents et devient sec. Et j’ai dit à tes disciples qu’ils le jettent dehors ; et ils n’ont pas eu la force. »
Il répond et leur dit : « Ô âge sans foi ! jusques à quand serai-je près de vous ? » En le voyant, l’esprit aussitôt le secoue de convulsions : il tombe sur la terre, se roule en bavant.
Et il [Jésus] interroge son père : « Il y a combien de temps que cela lui arrive ? » Et il [le père] dit : « Dès son enfance. Et souvent même dans le feu il l’a jeté, et dans les eaux pour le perdre. Mais si tu le peux, secours-nous ! Laisse-toi émouvoir pour
nous ! »
Jésus lui dit : « Ce « Si tu peux » !… Tout est possible pour qui croit. » Aussitôt le père de l’enfant crie et dit : « Je crois. Secours mon manque de foi. » Jésus voit accourir une foule, rabroue l’esprit impur et lui dit : « Esprit non parlant et sourd ! Moi je commande à toi : sors de lui et n’entre plus en lui. » Et il [le démon] crie, le convulse beaucoup et sort. Et il devient comme mort, si bien que beaucoup disent : « Il a péri ! »
Mais Jésus, saisissant sa main, le réveille : il se lève. Quand il entre au logis, ses disciples, à part, l’interrogent : « Alors, nous, nous n’avons pas pu le jeter dehors ? » Il leur dit : « Cette engeance-là ne peut sortir par rien que par la prière. »
Commentaire
On est ici en présence d’une histoire de démon, comme par exemple, celle du forcené du cimetière et des pourceaux dans Marc 5,12. A priori, elle nous dit que la foi peut guérir. Quel est le message de Balmary ?
L’histoire selon mon exégèse classique
Une foule est rassemblée autour de Jésus pour être témoin de l’événement. L’histoire dépasse donc le cadre du père et de l’enfant et s’adresse à tout le monde. Jésus reçoit ce père désemparé, dépassé par le comportement de son enfant ; il écoute les explications du père. Lors de ce dialogue, le père formule la phrase-clé : « Si tu le peux, secours-nous ! ». En fait j’y lis « S’il te plaît, secours-nous ». Un « S’il te plaît » qui n’existait certainement pas alors. Ce « Si tu le peux » est une précaution visant en quelque sorte à assurer que la demande que l’on va formuler ne soit pas prise comme un ordre, une tentative de dominer l’autre. On redoute le refus et on veut donc se montrer humble dans de tels cas.
Jésus relève alors cette demande mesurée et explique que tout est possible pour qui croit. Le père confirme aussitôt « Je crois. Secours mon manque de foi. » Il n’est pas explicité en quoi il croit, ni sur quoi porte la foi (pour les lecteurs c’est évident, mais le père pourrait simplement avoir foi en la guérison.) Le père s’ouvre donc et accepte d’être présenté comme un être de foi.
« Secours mon manque de foi, » c’est un pas exigeant. Demander d’avoir la foi n’est pas anodin. Qu’est-ce que la foi va nous amener à faire ? Si vous étiez devant un bouton sur lequel est écrit « Pressez et vous aurez la foi », presseriez-vous sans hésitations ? Si vous avez déjà la foi, peut-être n’est-ce pas la bonne et si vous ne l’avez pas, qu’est-ce qui va se passer ?
Sera-t-il encore possible de boire un verre avec les copains ? Lorsque l’on voit les excès dus à une foi démesurée, on peut s’interroger.
Les disciples interrogent Jésus sur leur échec. La réponse simple est qu’il manquait la prière. Cependant, le démon est chassé par Jésus par un ordre, pas par une prière. Il y a dans cette guérison un carrefour entre le père, son fils, le démon et Jésus. Le père fait une prière, mais il semble que la foi est également impliquée. La foi en Jésus ou Dieu, qui vont s’impliquer dans la guérison. La prière est ainsi un élément indirect dans ce carrefour.
Lorsque Jésus dit « il manquait la prière », est-ce que cela veut dire que le reste était présent ? Cependant, ce texte pose la question de ce qu’est une prière. Balmary n’en voit pas une immédiatement, mais elle voit la réalité d’une prière dans « s’il te plaît, secours-nous ».
Vision de Balmary
Balmary, une psychologue, voit dans ce père l’archétype du père envahissant et de son enfant (un ado) (Pour celle qui a un marteau, tout problème est un clou (!)). Le père submerge le moi ou l’esprit de l’enfant et brise sa volonté, et l’enfant essaye de se libérer maladroitement en se laissant porter par une colère incontrôlée. Cette colère le mène proche du suicide, une situation que vivent certains ados et que nous comprenons mieux aujourd’hui. La guérison du fils provient de la compréhension par le père qu’il doit distinguer son esprit de celui du fils. Il a entendu le psychologue Jésus et a passé du discours en « nous » au discours en « je ».
Les témoins peuvent maintenant comprendre comment un père doit gérer un fils. Il faut lui laisser un espace de liberté. Mais où est la nécessité de la foi ? Foi en la guérison ? Jésus extrait du fils un démon. Ce démon correspond-il à la moitié de l’esprit du père ? Balmary explique que Jésus ne peut extraire le démon que « lorsque le père est parvenu à l’état de prière pour lui-même, c’est-à-dire s’est retiré du corps de l’enfant. »
Après que l’enfant calmé est donné pour mort, Jésus le prend par la main. C’est l’écho de cette autre phrase de Balmary : L’adolescent en crise [ ]. Qui l’a pris par la main, lorsque les parents ne pouvaient pas voir leur propre esprit encore présent dans son corps… ? »
Ces explications sont à la frange de la théologie. Ce que Balmary admet d’ailleurs : « À ce stade, on peut s’étonner : que vient faire un récit clinique dans les Écritures ? Est-ce de la religion ? Ou de l’anthropologie ? » ou encore « Je crois qu’un tel récit pourrait valablement servir pour la formation des psys de toute obédience. » Il reflète, écrit-elle encore, certains rituels africains qui parlent d’esprits séparés.
Vision biblique ou psychologique ?
Quel est le sens de cette histoire ?
– Montrer la puissance de Dieu ou de Jésus ? Montrer que la foi permet des miracles ?
– Montrer que les pères sont parfois la source de problèmes ?
Est-ce que ces deux visions sont compatibles ? Laquelle éclaire l’autre ? La prière demande de l’humilité (que ta volonté soit faite, si tu le peux, s’il te plaît). Ce mouvement pourrait être une liaison entre les deux visions de la parabole.
La confiance en Dieu, en ses proches (dans le fils), dans la vie, sont liés.
Claude Petitpierre, 19.11.2024