LE NOTRE PÈRE – ÉPREUVE, NOURRITURE ET SALUT
Réalisée par des participants du programme 2024-2025,
une analyse d’un chapitre du livre de Marie Balmary,
Ce lieu que nous ne connaissons pas. A la recherche du Royaume,
Albin Michel, 2024, pages 79-95 (Matthieu 6, 9-13)
Au-delà du sentiment d’appartenance à une communauté, lorsqu’il est dit à plusieurs, les mots utilisés dans le Notre Père ont toujours éveillé ma curiosité.
La manière dont Marie Balmary a abordé ce texte m’a permis de mieux y entrer et a ouvert une réflexion.
On y trouve des «Nous», des «Je».
Qu’est-ce que «Je »? Qui dit «Je» lorsque je dis «Je»?
Qui sont ces «Nous»?
«Je» n’est pas le résultat d’une volonté, «Je» se dérobe, m’échappe, il est un sans cesse devenir, une continuelle transformation.
«Je» n’est pas sans me rappeler le détachement cher à Maître Eckhart, une dés-ego centration ou dé-coïncidence du Moi-Je.
Devenir «Je». C’est laisser s’exprimer une manière d’être au monde, notre «participation à l’Être». On peut se demander si devenir «Je» ne renvoie pas à ce que Maître Eckhart nommait «la naissance de Dieu dans l’âme»?
«Je» comme soudain débordement d’un je-ne-sais-quoi qui libère.
«Je» est aussi relation, relation unitaire au Tout Autre.
Quant à «Nous», il est partage, à condition qu’il ne soit pas un «Nous » de l’emprise mais bien un ensemble de «Je».
Les difficultés de compréhension du mot Père.
Marie Balmary commence par relever les difficultés évoquées par le mot Père. Elle mentionne les obstacles qui empêchent notre compréhension, de ce qu’elle appelle : Les « Images faussées du dieu-père » en référence à des textes aussi bien de l’A.T. que du N.T.
Certains textes font de Dieu un persécuteur Tout-Puissant, ce dernier ayant le goût du mortifère et non de l’amour. Alors que, dans la Torah, (YHWH) est un Dieu qui agit avec les hommes et non contre eux; sans doute, problème d’interprétation et/ou de traduction.
Dans le Décalogue, par exemple, des termes tels que punition, sanction, sacrifice, sont utilisés s’agissant selon l’auteur d’un interdit d’idolâtrie. Je cite : « Cet aveuglement face aux idoles, rend le dieu jaloux, qui poursuit le sacrifice sur quatre générations ». Marie Balmary se demande s’il ne s’agirait pas plutôt du risque de transmettre la culpabilité de pères en fils.
Puis elle évoque le sacrifice d’Isaac qu’elle comprend comme le parcours intérieur permettant à Abraham de mettre hors de lui ses démons inconscients et nuisibles.
De même, Jésus, dès qu’il est reconnu comme « Fils », est emmené au désert, mis à l’épreuve par celui qui divise, le diable. Marie Balmary interprète ce passage comme celui d’un appel à la toute-puissance, attirance très humaine, à laquelle aurait été confronté Jésus.
Autre texte, autre difficulté de traduction, celle de l’utilisation de l’impératif:
« Soyez parfaits comme votre père céleste est parfait! (Matthieu 5, 48)… Exigence impossible. Or, le texte grec utilise un temps verbal propre à cette langue, celui de l’inaccompli; l’action est en train de se faire et n’est jamais terminée, il s’agit donc de toujours tendre vers…
La traduction de YHWH par « Je serai qui je serai » (Exode 3, 14), implique cette notion d’inaccompli. Les commandements de la Loi sont, eux aussi, à ce temps de l’inaccompli. Le dieu du Décalogue ne donne pas d’ordre (mis à part « Tu ne tueras point », effectivement à l’impératif) mais il encourage, il invite à tendre vers une « finalité annonciatrice de changement ». La finalité (telos) a un autre rapport au temps que le but (skopos); dans la finalité ce n’est pas le résultat qui importe, mais l’action elle-même qui conduira à la plénitude (y compris… dans l’imperfection).
Autrement dit, c’est le OUI à ce qui est, puisque c’est. Et ce, afin que vous soyez fils de votre Père! » (Mathieu 5, 44-45).
Devenir Fils, c’est sortir de la soumission de l’enfant (infans= le sans parole) pour devenir…Je.
Commentaires du Notre Père selon Marie Balmary.
«Père de nous, celui des ciels».
En hébreu « Père de Nous » met le lecteur en présence d’un génitif et non d’un possessif. Les mythes ont installé les dieux dans nos cieux ; nos inconscients personnels et collectifs les habitent encore qu’on le veuille ou non.
«Que ton nom soit sanctifié».
Le nom de Père est une fonction, sanctifié signifie « mis à part ». N’est-ce pas une manière de nous mettre en garde contre le risque d’idolâtrie et ainsi libérer le «Nous» de la dépendance?
La fonction de Père de nous ainsi que le nom sanctifié sont désormais mis à leur juste place: le «Nous» peut dorénavant formuler des souhaits pour la vie bonne…
«Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel».
Nous souhaitons la liberté d’habiter ensemble le monde, non pas dans la symbiose ou la domination de l’un sur l’autre. Mais bien dans une « Souveraineté, un Royaume, ce lieu que nous ne connaissons pas ». Habiter ce «Nous» comme survenue d’un ensemble de «Je».
« Donne nous aujourd’hui notre pain de ce jour (ou suressentiel) ».
De quel pain s’agit-il? Epi-ousion… apparemment la traduction est difficile, mais ne serait-il pas cette manne indispensable pour traverser le désert, ce pain-là donne vie à nos relations.
«Pardonne-nous nos offenses ».
Pardonner en grec se dit « laisser aller, renvoyer au loin ». Qu’est ce qui empêche le «Nous», l’être ensemble, si ce n’est la blessure de la dignité, l’insulte, le non-dit? Et comment guérir de tout cela? Par la reconnaissance, la prise de conscience de l’épreuve subie ou de celle faite à autrui. C’est à ce prix que «Nous» peut exister.
«Dieu Père: une épreuve (appelée aussi tentation) ».
Nous exprimons ainsi le souhait de ne pas nous laisser gagner (même de manière subtile) par ce qui nous fait perde le goût de la Présence par définition insaisissable.
«La Parole qui nous mange au lieu de nous nourrir ».
Les croyances, les paroles séductrices, mortifères nous mangent, nous détruisent de l’intérieur, elles ne nourrissent point et nous rassasient encore moins.
La finalité du Notre Père, ne serait-elle pas celle de l’advenue du «Je » donc d’un «Nous» libéré de toute servitude?
Et si ce «Nous» participait de «ce lieu que nous ne connaissons pas» (sous-titre du livre de Marie Balmary) ?
Geneviève-Ramseyer / Juin 2025.