Par Ariane Baehni.
Ma mère était de culture espagnole, plus précisément castillane. Dans sa tradition, le langage s’enrichit de métaphores, d’exagérations, et de références à des proverbes qui ont traversé les siècles pour illustrer la pérennité des travers et des cocasseries humaines. Cet amour pour la langue et ses subtilités, pour les détours permettant de colorer à souhait une situation en la rattachant à une tradition millénaire, c’est sans doute la trace des mélanges de cultures, entre l’hiératisme de la péninsule et l’humour de ses occupants sémites, arabes et juifs.
Née en terre vaudoise, je n’ai jamais pu me défaire de ces exagérations de langage qui parfois font tressaillir mes interlocuteurs, inquiets de voir surgir l’outrance dans un discours pour la plupart du temps cohérent. Vous comprendrez mieux pourquoi je me permets cette comparaison: lorsque je me retrouve devant le texte biblique à propos duquel je dois prêcher, je me sens comme le pacha du harem qui doit choisir parmi ses concubines, celle qui partagera sa couche.
Le texte biblique, lorsqu’on prend la peine de le travailler avec les outils à notre disposition, déploie une infinité de thèmes, de pistes et de sujets à explorer, à illustrer, à déployer pour que la Parole prenne chair chez nos auditeurs. Contrairement à ce que l’on croit, la difficulté de la prédication ne réside pas tant dans le fait de devoir en parler que dans celui de devoir faire un choix parmi les tentations qu’il recèle. Comme un pacha qui aurait dans son harem des Circassiennes aux yeux verts, des Nubiennes à la peau sombre ou de mystérieuses Andalouses aux cheveux odorants, le prédicateur est confronté à un texte biblique qui fait appel aux sens, qui se faufile dans nos blessures, joue avec nos questions et met le feu aux situations rencontrées qu’il éclaire.
C’est donc le choix du fil conducteur qui rend la tâche difficile, le renoncement à toutes les nuances du texte qu’on aimerait explorer, le refus de la tentation de tout dire. Vouloir épuiser un texte en une prédication, c’est exposer les auditeurs à un exposé brillant, mais qui reste en surface et qui ne les rejoint pas là où le texte a rejoint son disciple.
Vous le savez déjà, je débute et je vis encore l’émerveillement de la richesse des textes. Des pasteurs plus chevronnés ont sans doute déjà dépassé ce vertige et ils vivent une relation moins passionnelle, peut-être plus profonde avec les textes bibliques. Comme des pachas assagis qui ont compris que dans la diversité des femmes, c’est l’essence de la Femme, celle de l’Humain qui est la plus belle et que cette essence-là, c’est dans une relation fidèle qu’on la partage le plus richement.